25 - Rebecca et Isaac


Le chapitre 24 de la Genèse, je le disais hier, est la première apparition du “roman à l’eau de rose”, du feuilleton pour “journal féminin” (?) comme on en faisait autrefois, du genre “Nous deux”. Le serviteur du Prince (ou du Fils de Famille) cherche et trouve la belle jeune fille que son maître l’a envoyé chercher… 


Le serviteur envoyé par Abraham


alla en Mésopotamie, à la ville de Nachor. ge.24.11 Il fit reposer les chameaux sur leurs genoux hors de la ville, près d'un puits, au temps du soir, au temps où sortent celles qui vont puiser de l'eau.


Il guette celle qui va venir, et celle-ci est Rebecca :


…sortit, sa cruche sur l'épaule, Rebecca, née de Bethuel, fils de Milca, femme de Nachor, frère d'Abraham. ge.24.16 C'était une jeune fille très belle de figure; elle était vierge, et aucun homme ne l'avait connue.


Rebecca donne à boire au messager d’Abraham, et aussi à ses chameaux : elle remplit donc la première des deux conditions qui avaient été fixées par le messager en connivence avec Yahvé (le texte n’est pas très clair ici…) pour qu’elle soit celle qui doit être choisie. Et puis…


ge.24.19 Quand elle eut achevé de lui donner à boire, elle dit: Je puiserai aussi pour tes chameaux, jusqu'à ce qu'ils aient assez bu.



Ci-dessus , un puits dans le sud marocain en 1973. Ce ne sont pas des chameaux, ici, mais des ânes !


Mais revenons à nos chameaux


Le serviteur demande alors à Rebecca qui elle est, quelle est sa famille… 


ge.24.24 Elle répondit: Je suis fille de Bethuel, fils de Milca et de Nachor.


Voilà qui tombe bien ! Nahor (ou Nachor) est justement le frère d’Abraham… La condition fixée par lui est donc remplie… Le serviteur offre un beau bracelet à Rebecca qui file tout de suite à la maison montrer cela à tout le monde. Et le grand frère va voir l’homme qui lui a donné ça…


Il vint donc à cet homme qui se tenait auprès des chameaux, vers la source, ge.24.31 et il dit: Viens, béni de l'Eternel! Pourquoi resterais-tu dehors? J'ai préparé la maison, et une place pour les chameaux.


Le messager vient à la maison, on s’occupe de ses chameaux, lui lave les pieds, et lui donne à manger… mais il veut d’abord parler : 


ge.24.38 … tu iras dans la maison de mon père et de ma famille prendre une femme pour mon fils.


Et ici, le messager reprend tout depuis le début…  C’est un morceau plus littéraire en quelque sorte que tout ce que j’ai pu lire jusqu’ici… Un très long flash-back, mais qui raconte ce qui vient déjà d’être dit, et que j’abrège… Ce procédé relève du style oral que l’on retrouvera jusque dans les texte du moyen âge, où le conteur fait raconter les faits par un autre personnage… Les copistes aussi, aimaient cela : payés à la ligne, ils arrondissaient ainsi un peu leur fin de mois, en faisant “durer le plaisir”.


Le Père de Rebecca et le “Grand Frère” de celle-ci donnent leur accord, et tout le monde va se coucher.


Mais le lendemain matin , tout de même,


ge.24.55 Le frère et la mère dirent: Que la jeune fille reste avec nous quelque temps encore, une dizaine de jours; ensuite, tu partiras.


Mais le messager insiste : il est pressé de retourner vers son maître.


ge.24.57 Alors ils répondirent: Appelons la jeune fille et consultons-la. ge.24.58 Ils appelèrent donc Rebecca, et lui dirent: Veux-tu aller avec cet homme? Elle répondit: J'irai.


Et voilà quelque chose qui mérite d’être noté : on demande son avis à  Rebecca… C’est la première fois, il me semble, dans la “Genèse” qu’une union se fait avec l’assentiment de la future épousée…  

Jusque-là, les comportements étaient plutôt ceux de soudards, qui “prenaient femme” sans s’occuper de sentiments. 


Et voilà le “Happy End” : 


Un soir qu'Isaac était sorti pour méditer dans les champs, il leva les yeux, et regarda; et voici, des chameaux arrivaient. ge.24.64 Rebecca leva aussi les yeux, vit Isaac, et descendit de son chameau. ge.24.65 Elle dit au serviteur: Qui est cet homme, qui vient dans les champs à notre rencontre? Et le serviteur répondit: C'est mon seigneur. Alors elle prit son voile, et se couvrit.


ge.24.67 Isaac conduisit Rebecca dans la tente de Sara, sa mère; il prit Rebecca, qui devint sa femme, et il l’aima.


Ils furent heureux et eurent… des jumeaux !


Dans le prochain épisode : Esaü, Jacob et le plat de lentilles.

24 - “L’homme qui rit”


Yahvé avait promis à Abraham que Sara, sa femme, qui avait dû avoir recours à la GPA jusqu’ici, finirait par lui donner un fils. Et cela se produisit, dit le texte, quand Abraham eut cent ans.  Bel exploit !


ge.21.5 Abraham était âgé de cent ans, à la naissance d’Isaac, son fils.


Selon les exégètes, le nom d’Isaac signifierait “celui qui rit”. Et cette naissance, de plus, suscite des rires… c’est du moins ce que déclare Sara. En effet, elle se plaint des moqueries du fils de “l’autre” :


ge.21.9 Sara vit rire le fils qu’Agar, l’Egyptienne, avait enfanté à Abraham;


Je suppose qu’en hébreu il doit y avoir pas mal de connotations, des jeux de mots entre le rire évoqué par le  nom d’Isaac et le rire de ceux qui se moquent de lui…  Mais il y a des variantes entre les traductions : 

Osty traduit différemment ce verset : 


ge. 21.9 Sara vit le fils que l’Égyptienne Agar avait enfanté à Abraham en train de jouer avec Isaac, son fils


Mais il ajoute en note: « lit. “faisant rire”, “plaisantant”. »

Alors qui est-ce qui rit ? Isaac ou le fils de “l’autre” ? 

On peut remarquer que jusqu’ici ce fils “de l’autre”  qui n’est pas nommé est en fait Ismaël.


Mais Yahvé intervient pour prévenir le crêpage de chignons : 


Accorde à Sara tout ce qu’elle te demandera; car c’est d’Isaac que sortira une postérité qui te sera propre. ge.21.13 Je ferai aussi une nation du fils de ta servante; car il est ta postérité.


Donc, en fin compte, tout le monde est content. Mais avec des yeux modernes, on peut voir là, néanmoins, les problèmes que posent déjà de nos jours les nombreuses “familles recomposées”… et l’adoption probable de la “GPA”  ne fera qu’envenimer ces situations. 


Victor Hugo, grand connaisseur de l’Ancien Testament n’a pas choisi Isaac pour héros de son roman “L’homme qui rit”… Il voulait un personnage de l’aristocratie de son époque. 

 23 - mort de Sara


Après le sacrifice d’Isaac détourné sur un bélier au dernier moment, “l’Ange de Yahvé” renouvelle, au nom de son patron, les promesses faites à Abraham :


ge.22.17 je te bénirai et je multiplierai ta postérité, comme les étoiles du ciel et comme le sable qui est sur le bord de la mer;


Le souci de la “postérité” est sans cesse présent dans le texte biblique. De même que les généalogies fantaisistes, mais dont le rôle est le même : garantir une pérennité des “lignées”. Cela est vrai de toutes les croyances, et de tout temps : la vie d’un homme n’est jamais vue que comme une brève parenthèse, fût-elle de quelques centaines d’années… dans le flot continu des ancêtres et de la descendance.

Une des caractéristiques de notre temps est au contraire — me semble-t-il — de mettre l’accent sur la durée de la vie et ce que l’on y réalise, en rejetant dans l’ombre ceux qui nous ont précédés, et en ignorant le plus possible ce qui a le plus de chances de se produire après nous… 

Abraham ayant donc scellé de nouveau “l’Alliance” avec l’Éternel retourne vivre à “Bersabée”.


Passons sur le couplet (Ge 22. 20-24) concernant la descendance de Nahor, frère d’Abraham. La mort de Sara, donne lieu à une supplique d’Abraham envers les habitants du lieu où résidait la morte pour qu’ils lui accordent un endroit où l’ensevelir, après diverses négociations


ge.23.19 Après cela, Abraham enterra Sara, sa femme, dans la caverne du champ de Macpéla, vis-à-vis de Mamré, qui est Hébron, dans le pays de Canaan.


Le serment de la cuisse


Ensuite de quoi, Abraham qui commence à se sentir vieux, songe à marier son fils, et demande à son serviteur en chef d’aller lui quérir une femme pour Isaac, qui ne soit pas parmi les Cananéennes, mais « dans son pays et sa parenté » Abraham a donc le souci de l’endogamie… 


Ici, un détail curieux : Abraham demande au serviteur de lui jurer obéissance au nom de Yahvé,  par un geste particulier :


Mets, je te prie, ta main sous ma cuisse; ge.24.3 et je te ferai jurer…


Osty met en note : 


« La cuisse : euphémisme pour désigner le sexe. » et donne trois autres occurrences de ce geste symbolique (46, 26 - 47,29 et Ex. 1,5). Puis il précise « pour prendre à témoin du serment qu’on va jurer sur les sources mêmes de la vie. »


Voilà un geste assez étonnant envers Abraham, quand on se souvient de la colère de Noé parce qu’on l’aurait vu tout nu…


demain : Isaac et Rebecca, un feuilleton digne de “Nous Deux”.


22 - Isaac et le bélier


Abraham et Abimèlek se sont disputés pour une histoire de puits, mais se sont réconciliés. Yahvé, que le texte appelle maintenant “Dieu”, dit alors à Abraham :


ge.22.2 Dieu dit: Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac; va-t'en au pays de Morija, et là offre-le en holocauste sur l'une des montagnes que je te dirai.


“holocauste”: le terme figure déjà en Ge. 8.20, quand tout le monde est sorti de l’Arche de Noé.

Osty en donne le sens suivant en note :


on appelle ainsi les sacrifices dans lesquels la victime est entièrement consumée par le feu sur le brasier de l’autel.


Il ne peut donc y avoir de doute : le Bon Dieu demande à Abraham de mettre à mort son fils… 

Abraham monte vers l’endroit que lui a désigné Dieu, avec Isaac qu’il charge du bois pour allumer le feu. 


Ici les traductions que je possède disent toutes quelque chose que je trouve curieux :


ge.22.6 Abraham prit le bois pour l'holocauste, le chargea sur son fils Isaac, et porta dans sa main le feu et le couteau.


Que veut dire exactement: « porta dans sa main le feu »? Je n’ai trouvé aucune explication là-dessus nulle part… et au fait : comment faisait-on du feu, à cette époque ? J’ai cherché sur le web, et j’ai trouvé ceci — dans une page d’un site des “Témoins de Jéhovah”, qui se posait exactement la même question que moi, à propos du même verset !


plusieurs spécialistes pensent qu’avant de partir en voyage, Abraham a pris des braises dans un feu et les a mises dans un récipient, peut-être un pot. Puis il a transporté ce récipient suspendu à une chaîne (Isaïe 30:14).


Qu’Abraham ait existé ou non, cette explication est vraisemblable pour les gens ayant vécu à l’époque supposée d’Abraham. Pas d’allume-feu, pas de briquet ni d’allumettes, et probablement que la technique préhistorique du frapper de silex ou de l’arc faisant tourner un bâton emmanché d’une pointe de silex n’étaient plus en usage…

la référence à Isaïe est celle-ci:


is.30.14 … comme se brise un vase de terre, Que l'on casse sans ménagement, Et dont les débris ne laissent pas un morceau Pour prendre du feu au foyer,


Cet aspect technique élucidé, reste l’essentiel: le sacrifice humain demandé par Dieu à Abraham.


Isaac, le naïf, l’Homme qui rit, ne rit plus beaucoup, il se pose des questions… et les pose à son père, lequel répond évasivement :


Isaac reprit: Voici le feu et le bois; mais où est l'agneau pour l'holocauste? ge.22.8 Abraham répondit: Mon fils, Dieu se pourvoira lui-même de l'agneau pour l'holocauste.


Suivent les préparatifs du sacrifice (et je note que la Bible n’est pas “déconseillée aux moins de 10 ans” !)


Il lia son fils Isaac, et le mit sur l'autel, par-dessus le bois. ge.22.10 Puis Abraham étendit la main, et prit le couteau, pour égorger son fils.


Mais le metteur en scène a tout prévu : une voix “off” s’écrie :


Abraham! Abraham! Et il répondit: Me voici!

……

N'avance pas ta main sur l'enfant, et ne lui fais rien; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique. 


C’était donc “pour de rire”, comme disaient les enfants d’autrefois (Aujourd’hui ce serait “LOL” ? ) Mais pour Isaac, l’Homme qui rit, il n’est pas certain qu’il ait beaucoup rigolé, tout de même.


Et maintenant, Abraham cherche ce qu’il va pouvoir égorger à la place de son fils…


ge.22.13 Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes; et Abraham alla prendre le bélier, et l'offrit en holocauste à la place de son fils.


Tout est donc bien qui finit bien. 


Les gens qui, comme moi, sont assez vieux pour avoir été à l’école d’autrefois pensent évidemment à Iphigénie…  les Grecs, en effet, ne furent pas en reste du côté des sacrifices… allant jusqu’au geste fatal d’Agamemnon, au dernier moment  dévié vers une biche, grâce à Artémis, ou sauvé par la substitution d’une autre à sa place (Ériphile), selon l’aimable Racine…


Mais la racaille des banlieues d'aujourd’hui n’a lu ni la Bible ni les Grecs, et à peine le Coran (seulement les versets qui conseillent de jouer du couteau contre les mécréants)


À Crépol, l’autre soir, ils ont donc pris le couteau et le feu  — pour s’amuser? 


21 - une expulsion réussie


Sur les conseils de Yahvé, Abraham retrouve la paix du ménage en donnant raison à Sara sa femme contre Agar la servante, qu’il avait été bien content de trouver pour qu’elle lui fasse un enfant… 

J’ai déjà parlé des soucis multipliés  causés par la GPA… mais à l’époque, point n’était besoin en Canaan de laisser-passer consulaire pour appliquer une “OQT” : Abraham expédie Agar et son enfant dans le désert avec un peu de pain et d’eau. (Il paraît que les Tunisiens auraient été tentés d’appliquer cette façon de faire avec leur trop-plein d’immigrants… Mais allez donc savoir où est la vérité ?)


Quoi qu’il en soit, Agar


ge.21.14 …… s'en alla, et s'égara dans le désert de Beer-Schéba.


Mais Yahvé qui voit tout, ne pouvait laisser cette femme et son enfant sans eau, et quand l’outre que lui avait donnée Abraham fut vide, et qu’Agar se lamentait de voir périr  son fils, il  envoya une équipe d’Humanitaires lui creuser prestement un puits… 


ge.21.18 ……Et Dieu lui ouvrit les yeux, et elle vit un puits d'eau; elle alla remplir d'eau l'outre, et donna à boire à l'enfant.


Et voilà le Happy End de ce cette superproduction en EastManColor:


ge.21.20 Dieu fut avec l'enfant, qui grandit, habita dans le désert, et devint tireur d'arc. ge.21.21 Il habita dans le désert de Paran, et sa mère lui prit une femme du pays d'Egypte.


Rideau.


Abraham, on le sait, avait eu à se plaindre d’Abimèlèk, qui lui avait pris sa femme Sara… mais à qui la faute, puisqu’il l’avait fait passer pour sa soeur ?  Et Abimèlek avait reconnu ses torts, — involontaires. 

Maintenant que Yahvé a choisi son camp, et donne le pouvoir à Abraham,  Abimèlek essaie de s’acoquiner avec lui. Et quand ils se chipotent à propos d’une histoire de puits, finalement, Abimèlek capitule et s’en va « au pays des Philistins ».


Mais Yahvé est un dictateur féroce ; il veut montrer que son pouvoir est sans limites… 


Prochain épisode : le sacrifice d’Isaac.

  25 - Rebecca et Isaac Le chapitre 24 de la Genèse, je le disais hier, est la première apparition du “roman à l’eau de rose”, du feuillet...